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Coopération Algéro-italienne : vers un partenariat durable

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Le Quotidien d’Algérie, 13 octobre 1991
 
De nombreux entretiens algéro-italiens ont eu lieu au cours de ces dernières semaines et cela à plusieurs niveaux politiques et économiques, témoin la récente rencontre à la Chambre nationale de commerce et le séminaire sur les Petites et moyennes industries (PMI) organisé à l’hôtel Aurassi. Il semble donc acquis que de grands projets de partenariat vont être développés entre les deux pays comme en témoigne l’entretien exclusif accordé par son Excellence l’ambassadeur d’Italie, monsieur Antonio Badini, au Quotidien d’Algérie. Une interview qui a débuté par un préambule résumant l’action actuelle du gouvernement italien dans le cadre du partenariat entre l’Algérie et l’Italie.

Le Quotidien d’Algérie.- Où en sont les relations entre l’Algérie et l’Italie ?
L’Ambassadeur Antonio Badini.- Nous souhaitons des relations stables, durables et saines. Nous sommes de grands acheteurs d’hydrocarbures algériens et nous savons que l’Algérie va dépendre de ses ventes de gaz et de pétrole pour les trois ou quatre prochaines années. Voilà pourquoi nous avons décidé d’orienter nos besoins sur l’Algérie. Nos achats vont donc augmenter, entraînant par la même occasion une plus forte dépendance énergétique vis-à-vis de votre pays. C’est là un risque calculé bien que la politique habituelle en matière d’énergie est basée sur la diversification des sources d’approvisionnements. Mais le constat est là, il n’est plus possible, si l’on veut que nos relations soient saines, de continuer à importer le gaz et à chercher à augmenter nos exportations. Notre démarche sera de favoriser la diversification de nos échanges à l’aide du partenariat. Nous sommes prêts à voir de quelle façon le marché italien pourrait être un débouché pour les produits algériens nés de la coopération entre nos deux pays. Prenons le cas de Fiat. Cette dernière s’engage sur des unités de composants pour une production qui dépassera les besoins internes du marché algérien. Il faudra absolument s’inscrire dans la stratégie de commerce mondial.

Quels sont les projets de partenariat en matière de PMI ?

A l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’énumérer des projets spécifiques, mais plutôt les catégories ou secteurs sur lesquels nous pensons mener une action pour que les petites et moyennes entreprises puissent être efficaces. Nous sommes en train d’étudier les possibilités de remise en marche de certaines usines qui souffrent de manque de matières premières ou de pièces de rechange. C’est le cas par exemple du textile. On pourra ainsi consacrer une ligne de crédit pour la réhabilitation de ce secteur.
Il y a une autre démarche qui consiste à favoriser l’installation de sociétés italiennes dans le cadre de partenariat. Nous avons un programme pour satisfaire les besoins des sociétés algériennes et redémarrer les PMI. Ce programme global comprendra les volets d’assistance technique, du choix du lieu d’achat de matières premières et de fournitures. Pour la première période, il s’agira d’un programme pilote de l’ordre de 30 à 40 millions de dollars. Ce sera un catalyseur pour d’autres actions similaires.

Le risque Algérie est-il calculé ?

C’est aux banques qui décideront d’intervenir sur le marché algérien de calculer le risque ainsi qu’aux sociétés d’assurance. Et il se fera sur la base de l’évolution du marché et de la régularité des paiements. Le rôle de l’Etat italien sera d’apprécier si le risque empêchera ou non le bon déroulement des opérations entre nos deux pays. L’Etat peut de ce fait influer directement les opérateurs en donnant des instructions pour que telle ou telle ligne de crédit soit assurée à 100%. Ce sont là des lignes de crédit qui seront garanties par l’Etat italien et son budget. De manière générale, le rôle de l’Etat sera d’empêcher que le calcul du « risque Algérie » se fasse au détriment de tout échange entre nos deux pays. Les obstacles pourront être contournés par les deux gouvernements à l’aide de schémas d’incitation qui restent à définir. L’Algérie pourrait prendre des mesures destinées à favoriser l’implantation de sociétés italiennes en révisant par exemple les lois douanières. Le rôle de l’Italie étant pour sa part de mettre en place un dispositif financier pour inciter les entreprises italiennes à s’installer en Algérie.

Jusqu’à présent, la phase est à la réflexion. Quelles sont les modalités pratiques de mise en place d’un tissu industriel dense et durable de partenaires ?

Il faut d’abord que soient bien évaluées les perspectives du marché maghrébin. On envisage un développement du Maghreb qui soit concerté. Il faut savoir quelle est la capacité de l’Algérie à s’imposer sur le marché maghrébin et il faut que l’entité maghrébine soit en mesure de soutenir la concurrence en Europe qui sera encore plus forte les prochaines années. Il faut donc que la production soit compétitive d’ores et déjà à l’échelle maghrébine. Aider âr conséquent l’édification du Maghreb est une condition sine qua none pour établir des relations durables entre l’Europe et le Maghreb. Et nous sommes, en tant qu’Italie, intéressés par le potentiel du marché que de perpétuer les relations vendeurs-acheteurs.
Nous sommes décidés à adopter une démarche à longue échéance qui consiste à investir et à développer le partenariat. Nous pensons que la PMI constituera pour le Maghreb et particulièrement la véritable force créatrice d’emplois et génératrice de revenus importants. C’est là la solution pour le problème de la démographie et du chômage.
Les potentiels humain et technologique existent. Il y a une infrastructure et une base matérielle qui sont prometteuses. Tout cela constitue une base solide à laquelle il manque une forme imaginative pour encourager le partenariat au sein des PMI.

L’Italie, est-elle en train de devenir le premier partenaire commercial de l’Algérie ?

C’est une ambition légitime que nous espérons réaliser. Et nous avons une stratégie bien établie. Nous avons pris nos décisions et nous pensons que l’Algérie est le pivot du Maghreb. Nous dépendons de l’énergie algérienne. Nous avons donc décidé de faire un grand programme d’investissement dans le secteur pétrolier mais il ne faut pas que nos relations commerciales se limitent aux hydrocarbures. Il nous faudra faire preuve d’imagination en offrant nos produits italiens de manière à combler le déséquilibre commercial entre nos deux pays. Dans ce sens d’idée, il n’y a aucune autre démarche possible que l’action de développer le partenariat. Notre problème aujourd’hui n’est pas d’augmenter nos exportations vers l’Algérie mais de rendre durables nos échanges commerciaux en sachant prendre des risques et c’est cela le partenariat. Mais il n’est pas question de brider l’Algérie par rapport à ses autres partenaires commerciaux.

N’y a-t-il pas un risque pour le Maghreb de devenir une simple arrière-base logistique de l’Europe de demain ?

C’est aux pays maghrébins de se défendre et d’analyser ce risque. Il faut bien sûr une division ou un partage équitable du travail. Nous ne pensons pas qu’il y ait un risque de voir l’Europe devenir l’unique partenaire du Maghreb. Par contre, un Maghreb sous-traitant des Douze (pays de l’Europe) est une possibilité à ne pas exclure. C’est à nous tous de travailler pour éviter que ce risque ne se concrétise. Je vous cite le cas de l’Italie qui à la fin de la Seconde Guerre mondiale était en grande partie détruite. Nous avons prospecté des sources de partenariat et c’est ainsi qu’on été obtenues plusieurs licences américaines de sociétés qui avaient compris que la seule façon de s’assurer un marché stable était d’y investir. Nous avons donc été sous-traitants des Etats-Unis pendant une quinzaine d’années mais passé ce délai, nous avons commencé petit à petit à améliorer notre production et à innover. Il faudra que le Maghreb en fasse autant. Qu’il obtienne en premier lieu une technologie et qu’il arrive un jour ou l’autre à créer de lui-même et à s’adapter au marché mondial. Ce risque existe donc mais il est préférable d’être un sous-traitant qu’un éternel acheteur et cela ne doit pas empêcher le pays qui sous-traite de penser à se développer encore plus en affinant sa production.

La motivation de l’Italie quant développement du partenariat avec l’Algérie n’est-elle pas aussi dictée par les problèmes de l’immigration ?

Nous avons parlé de sécurité pour justifier notre démarche. Sécurité économique, financière mais aussi interne. Créer des usines en Algérie à partir d’un partenariat voudra dire des emplois. Les gens pourront travailler dans leur pays et c’est ainsi que s’établiront des relations saines et durables. L’immigration est une source de tension et le partenariat est là pour résoudre à la racine ce problème en assurant un partage plus équitable des richesses. La pétrochimie ne suffit pas. La petite et moyenne entreprise est, je le répète, celle qui crée le véritable tissu industriel d’un pays et c’est ainsi que se créent les emplois. Aujourd’hui, vouloir augmenter ses exportations sans tenir compte de l’avenir des pays acheteurs, c’est ne pas voir à long terme et s’exposer à la création de tensions telles que celles engendrées par l’immigration.

Est-il vrai que l’Italie, cherchant à diversifier ses sources d’énergie électrique, désire développer en Tunisie un projet de centrale destinée à l’alimenter en électricité ?

Il est vrai que nous avons le projet de construire en Tunisie une centrale qui générerait de l’énergie électrique acheminée par un ‘électroduc’ vers l’Italie. Les contacts existent déjà entre nos deux pays mais il faut aussi que des contacts se fassent entre l’Algérie et la Tunisie. Nous espérons nous réunir le plus tôt autour d’une table pour finaliser la faisabilité de ce projet. Ce dernier améliorera peut-être les relations d’échange entre l’Algérie et la Tunisie. Il y aura ainsi le gaz algérien, l’électricité tunisienne mais cela de manière harmonieuse sur le plan maghrébin. C’est là une première qui pourrait précéder à la pose de nouveaux ‘électroducs’. Mais plus que tout, ce projet innove car il s’agira pour la première fois pour un pays d’Europe d’importer de l’énergie électrique à partir d’un pays du Sud de la Méditerranée.

Propos recueillis par Akram Belkaïd et Abdenour Moussi
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