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Chronique internationale : Tunisie

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Le Quotidien d’Algérie, 21 octobre 1991
 
La récente décision prise par le président Benali de ne pas gracier les trois condamnés à mort appartenant à la mouvance islamiste prouve à souhait que le gouvernement tunisien entend ne céder ni aux pressions ni à la violence. Mais, plus que tout, c’est une nouvelle étape qui a été franchie dans la lutte, désormais sans merci, entre autorités et mouvements intégristes. Pour l’heure, l’avantage semble être du côté du pouvoir en place. Emprisonnés ou en exil, obligés de vivre dans la clandestinité, les militants d’Ennahdha adoptent un profil bas, laissant passer la tornade des arrestations consécutives à la découverte d’un complot contre le président Benali. Les détails concernant la préparation de l’attentat ont, semble-t-il tout autant ému l’opinion publique que lorsque les locaux du RCD (parti au pouvoir) avaient été incendiés en février dernier, incendie au cours duquel, rappelons-le, un gardien avait été brulé vif. C’est d’ailleurs cet acte condamnable qui a valu la peine de mort aux islamistes. De nombreuses manifestations de soutien ont donc été organisées à travers tout le pays et la quasi-totalité des partis politiques d’opposition ont fait bloc derrière le président.

Une unanimité totale mais qui n’en reste pas moins sans grand impact sur la vie réelle de la société. Car, à l’image des autres nations maghrébines, voire même arabes, la Tunisie traverse l’une des plus difficiles périodes depuis son indépendance. Régression de l’agriculture, baisse des réserves hydrauliques, problèmes énergétiques et chutes des revenus liés au tourisme (Guerre du Golfe oblige !) sont autant de poids qui font craquer le pays de toutes parts, lézardant ainsi un édifice que Bourguiba avait de son temps réussi tant bien que mal à stabiliser. De nombreuses voix commencent à s’élever en dehors de l’activisme religieux, pour dénoncer pêle-mêle la bureaucratie régnante, les inégalités sociales et la cherté de la vie. Au milieu estudiantin, éternel contestataire, s’ajoute la grogne des travailleurs agricoles et d’une bonne partie de la classe moyenne désireuse d’améliorer son train de vie.

Cette perte du pouvoir d’achat, les abus constatés ça et là font que la Tunisie vit sur une poudrière même si l’explosion ne peut-être envisagée qu’à longue échéance. Encore faudrait-il que s’installe une véritable ouverture démocratique réclamée sans cesse par la ligue locale des droits de l’homme. Il appartient donc au gouvernement Benali de démocratiser. D’ouvrir afin de prendre de vitesse tous les types d’activisme. C’est là un scénario presque dicté par la logique que nous Algériens connaissons bien. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que nos deux pays font l’objet d’une attention particulière de la part d’observateurs étrangers, notamment d’Europe du Sud, pour qui en règle générale, l’islamisme est un danger. Tous, en fait, attendent de savoir laquelle des deux politiques sera payante. En premier lieu, l’ouverture démocratique totale, du moins officielle, avec autorisation des partis politiques islamiques (cas de l’Algérie qui a donné son agrément au FIS et cela au grand dam de la Tunisie). La seconde alternative consistant quant à elle à adopter la stratégie qui a toujours été celle de Bourguiba et que Benali a reprise à son compte, semble-t-il de manière forcée comme en témoigne ses gestes de clémence (à l’égard des islamistes) à son arrivée au pouvoir. Aucun dialogue donc et guerre totale jusqu’à ce que, la croissance économique aidant, les problèmes sociaux disparaissent en grande partie vidant du même coup les rangs des islamistes.

Les démarches sont, on le voit, totalement différentes mais le risque à terme est exactement le même pour toutes les deux. Que le scénario catastrophe, récession-crise-chômage, se perpétue et le Maghreb, du moins l’Algérie et la Tunisie, risquent à nouveau d’avoir à payer le prix du sang et du feu.


Belkaïd Akram 
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